2015/12/20

Paroles de Poilu : Jeannine Marcou (un an plus tard)

Jeannine Marcou, quelque part sur la photo (1915-1916)

Entre noël 1914 et noël 1915, douze mois de tranchées ponctués de bombardements parfois intensifs, aussi d'attaques puis de contre-attaques sans le moindre pouce de terrain conquis ni perdu, mais quand même 333 700 français tombés au champ d'honneur, dont quasiment soixante mille durant le seul mois de septembre, bataille de Champagne et délires de généralissimes obligent.


Jeannine Marcou a désormais 9 ans. Au cours de l'année écoulée, elle n'a vu son père que deux semaines en tout et pour tout, mais pas un jour n'a passé sans qu'elle ne pense très fort à lui, à la vie qu'il mène et aux dangers qu'il court, là-haut, sur le front, entouré par les "boches" et baignant dans la boue. Aussi lui écrit-elle souvent de plus ou moins longs courriers dans lesquels elle exprime à la fois les craintes qu'elle éprouve, les progrès qu'elle fait ou encore les joies qui sont siennes, tout ce qu'elle ne peut lui dire de vive voix et Dieu sait s'il y en a. 

Comme l'année précédente à pareille époque, Jeannine Marcou adresse donc à son père plusieurs lettres où il n'est pas seulement question de Noël et de cadeaux déposés au pied du sapin, mais aussi de ce qui lui gâche la fête... parce que pour les petites filles aussi, cette guerre fut bien trop longue : 

Bientôt ça va être Noële. Je suis très contente, je ne demandrai pas de jouets, mais simplement la victoire et la fin de la guerre...

bien trop douloureuse :

Ça sera un beau Noële pour tous [...], exepté cette pauvre Marie-Rose qui n'aura pas l'espoire de revoir son mari.

et beaucoup trop lourde à porter : 

Pour Noële, j'ai reçu des chaussettes pour les soldats et 5fr pour leur acheter des livres. J'ai eu aussi une petite fille en bois qui tient dans ses bras des poupées cassées, alors Yvonne a dit : "C'est des réfugiées qui est malheureux parce que les boches leur a fait des atrocités". Yvonne a eu un polichinelle qui pleure "parce qu'il est réformé à cause de sa bosse". Elle a reçu aussi un boche qui fait : "Camerat ! Pas kapouth !" et René a eu des cigarettes en chocolat, mais il les a déjà toutes mangées et, comme il n'en a plus, maintenant il mange mes sucres d'orge et les bonbons d'Yvonne.
Je t'embrasse bien bien fort. 
A bientôt, j'espère...
Ta petite Jeannine qui t'aime, qui t'aime, qui t'aime !


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