2015/07/26

Jean-Noël Jeanneney : Concordances des Temps

« Le savant britannique qui travaillait au centre de recherche secret en matière de guerre bactériologique est mort de la peste, cela nous ramène en plein moyen-âge... Et qui sont exactement les mêmes que celles dont nous fûmes comblés sans en être accablés, depuis le 18 juin 1940... Le coup d’œil sur l’Histoire, le recul vers une période passée ou, comme aurait dit Racine, vers un pays éloigné, vous donne des perspectives sur votre époque et vous permet d’y penser davantage, d'y voir davantage les problèmes qui sont les mêmes ou les problèmes qui diffèrent ou les solutions à y apporter... »

Tout le monde ici connaît le brillantissime Jean-Noël Jeanneney, et nombreux sont ceux à considérer son émission du samedi, Concordance des Temps, comme l'une des meilleures, sinon la meilleure émission de France Culture. Sans doute le talent et les qualités humaines de Jeanneney y sont pour beaucoup, d'autant plus qu'il fait contrepoids à celui qui le précède sur la grille des programmes. Sans doute apprécions-nous également le ton employé entre l'animateur et son invité durant cette heure d'antenne consacrée tout à la fois à l'histoire et à l'actualité, loin du prophétisme à deux balles, des vaines polémiques ou du clinquant des m'as-tu-vu. Mais peut-être aussi l'intérêt que nous portons à son émission répond-il à quelque chose de plus sourd, de plus secret, de moins palpable, comme le sentiment profondément inscrit dans la chair d'être à la fois de son temps et des temps qui nous ont précédés ou, comme l'a dit Braudel avant nous, que "le temps d'aujourd'hui date à la fois d'hier, d'avant-hier, de jadis", soit précisément ce que met en lumière chaque numéro de Concordance

Illustration : Michel Granger
Ce que l'on sait moins, en revanche, c'est que durant l'été 1987, soit douze ans avant d'animer sa première émission, Jean-Noël Jeanneney fit paraître dans les colonnes du Monde une série de trente-six chroniques entièrement consacrées à l'actualité du passé et toutes intitulées, je vous le donne en mille, Concordance des temps. Même titre et même principe aussi : "débusquer dans le passé des similitudes avec nos conjonctures contemporaines" afin de pallier les défaillances de la mémoire collective, tout en rabattant cette prétention naturelle qui nous pousse à exagérer l'originalité de notre époque et de nos comportements respectifs. Ainsi, parmi quelques-uns des thèmes abordés-comparés : la syphilis # le sida, l'absinthe # la bière, Rodin # Buren, la guerre des manuels scolaires, terreur et démocratie, etc... mais aussi des sujets plus légers comme, par exemple, une histoire pluriséculaire du poil qui vaut son pesant de follicules et seulement trois euros dans toutes les bonnes librairies d'occasion.
Ou bien alors tous les samedis entre 10 et 11 sur 93.5 FM : une heure durant laquelle les faits du présent sont juxtaposés sur ceux du passé afin de les mieux comparer, donc les mieux comprendre, et s'autoriser ainsi à penser notre temps autrement qu'à travers le biais des emballements médiatiques et leur "sensationnelle" hémorragie d'infos sans suite ni raison.



Terreur et démocratie

Le mot est désuet, la chose est d'aujourd'hui : c'est bien de "propagande par le fait" qu'Action directe et les terroristes de l'automne 1986 ont renouvelé la pratique. L'expression appartenait à la pensée anarchiste et a trouvé tout son éclat au moment de la vague des attentats qui culmina en France en 1892, 1893 et 1894.
L'évolution des techniques de destruction et de mort est, en somme, assez limitée d'un siècle à l'autre et ne mérite guère qu'on s'y attarde, mais en revanche la typologie des crimes anarchistes, selon leurs ressorts et selon leurs buts, appelle par comparaison quelque attention : l'histoire précise qu'en a donnée Jean Maitron [in Le mouvement anarchistes en France-Tome 1) permet de la dresser assez aisément.
Les cibles varient de la plus symbolique à la plus abstraite. Pour le symbole : l'assassinat, en 1884, de la supérieure d'un couvent de la banlieue de Marseille ou, en mars 1886, l'attentat de Gallo qui jeta une bouteille d'acide prussique et tira plusieurs balles au hasard dans l'enceinte de la Bourse de Paris. Et voici encore le fameux Emile Henry qui, le 8 novembre 1892, déposa un engin explosif devant la Compagnie des mines de Carmaux et provoqua un carnage dans un commissariat de police voisin, où la bombe avait été transportée. Symbolique aussi le crime de Vaillant qui, le 9 décembre 1893, lança une sorte de machine infernale dans la salle des séances du Palais-Bourbon et blessa plusieurs députés : il visait indistinctement, expliqua-t-il, "les bouffe-galette de l'Aquarium". Symbolique enfin l'assassinat du président de la République Sadi Carnot par Caserio, à Lyon, le 24 juin 1894.
A l'aveugle, les coups de revolver tirés le 20 octobre 1881 par un ouvrier tisseur anarchiste contre un docteur de Neuilly pris au hasard dans une rue, ou le terrible coup de tranchet asséné dans un restaurant de l'avenue de l'Opéra au ministre de Serbie, Georgewitch, par Léon-Jules Léauthier qui affirma qu'il "ne frappait pas un innocent en frappant le premier bourgeois venu". A l'aveugle encore, la bombe lancée au café Terminus de la gare Saint-Lazare, le 12 février 1893, par le même Emile Henry, qui causa parmi la foule un mort et une vingtaine de blessés.
De Fauchon au CNPF, de l'OCDE à Tati, les catégories en cent ans n'ont guère changé. Ni non plus une troisième, celle où s'inscrivent les attentats d'Action directe contre la brigade de répression du banditisme, ou l'attentat organisé au début de 1987 contre le juge Bruguière : violences dirigées contre les magistrats mêlés à la répression dite "bourgeoise", et qu'il s'agit soit d'intimider, soit de punir. "L'épidémie terroriste" commença en mars 1892, quand Ravachol déposa une bombe qui causa de graves dommages à un immeuble situé 136 boulevard Saint-Germain à Paris : habitait là le président Benoît, qui avait dirigé avec rigueur les débats d'un procès d'anarchistes l'année précédente (il s'agissait d'une échauffourée survenue à Clichy le 1er mai 1891; les inculpés avaient été passés à tabac au commissariat, et le chef de la Sûreté s'était, dans une interview, flatté de l'énergie déployée par les policiers sous ses ordres...) Ravachol récidiva quelques jours plus tard en s'en prenant à l'immeuble de la rue de Clichy où vivait le substitut Bulot, avocat général au même procès : l'explosion provoqua plus de dégâts encore. Ainsi le terrorisme se nourrit-il lui-même, la répression entraînant la vengeance et réciproquement selon un mouvement familier de balançoire. D'où l'attentat meurtrier commis plus tard contre le restaurant Véry, boulevard Magenta, où Ravachol avait été repéré par un garçon, dénoncé et arrêté.
Au surplus les terroristes isolés sont encouragés par la psychose collective qui se crée aux moments les plus chauds des attentats, et qui est entretenue par une presse populaire à sensation. Celle-ci tient sa rubrique quotidienne de la peur collective. "Je n'ai jamais vu une pareille terreur à Paris", note Dabot dans ses Calendriers d'un bourgeois à Paris, le 28 mars 1892, au lendemain de l'explosion de la rue de Clichy. Et le chroniqueur judiciaire H. Varennes, dans son livre de notes d'audience intitulé De Ravachol à Caserio et publié en 1895, raconte : "L'imagination excitée voyait partout des bombes. La moindre boîte à sardines jetée au tas d'ordures était prise pour un engin explosif et envoyée au laboratoire municipal qui l'ouvrait avec mille précautions."
Il faut dire que la presse anarchiste, en développant sans relâche, au cours des années précédentes, ses suggestions pour toutes les actions les plus violentes, non sans de fréquentes rodomontades, fournissait de la copie et des arguments aux tempéraments les plus répressifs. Ainsi, en mai 1885, pour prendre un exemple parmi les plus farfelus, cette suggestion de la feuille intitulée le Droit social : "Dans chaque ville où se trouvent des entrepôts, un bon moyen d'en faire un feu de joie, c'est de se munir de quatre ou cinq rats ou souris, de les tremper dans du pétrole ou de l'essence minérale, d'y mettre le feu et de les lancer dans le bâtiment à détruire. Les bêtes, folles de douleur, s'élancent, bondissent et allument le feu en vingt endroits à la fois..." Même si ce type de littérature se fit plus rare à partir de 1886 dans les feuilles anarchistes, elle n'en fut pas moins citée jusqu'à plus soif, comme bien l'on pense, à la tribune des deux Chambres entre 1892 et 1894.
Rare est le sang-froid, et encore joue-t-il souvent à s'habiller d'un anticonformisme ostentatoire, d'une désinvolture "fin de siècle" propres à lui ôter une bonne part de sa vertu contagieuse. Le jour de l'attentat du Palais-Bourbon, le poète Laurent Tailhade dit à un journaliste qui lui demandait sa réaction : "Qu'importe les victimes si le geste est beau ? Qu'importe la mort de vagues humanités si, par elle, s'affirme l'individu ?" Mot qui frappa d'autant plus que, quelques mois plus tard, le même Tailhade se trouva être la première victime d'une bombe lancée contre le restaurant Foyot, où il déjeunait : gravement blessé au visage, il y perdit un œil, et plusieurs contemporains pieux ne manquèrent pas de dénicher dans ce hasard vraiment prodigieux quelque chose comme un châtiment frappant une légèreté qui finissait par se faire la complice plus ou moins inconsciente de la barbarie des anarchistes.
L'esprit public répond d'une autre manière, et l'on signale de vrais mouvements de panique — tandis que le commissaire de police Dresch, qui vient d'arrêter Ravachol, reçoit aussitôt congé de sa propriétaire par crainte de représailles, et a toutes les peines du monde à trouver un autre logis... Notre actualité a connu de semblables mouvements, l'attitude des voisins de Chapour Bakhtiar réclamant son expulsion de leur immeuble ayant frappé, voici quelques années, l'attention.
Au demeurant, le rapprochement prend-il plus de prix si, montant d'un cran, on s'arrête sur les comportements politiques qui résultèrent de ces événements tragiques et sur la genèse d'une législation très répressive que le gouvernement fit voter à la fin de 1893 et en juillet 1894 sous le coup de l'émotion. Autrement dit, pour reprendre un vocable dont la gauche les souffleta, les fameuses "lois scélérates". Ce qui s'agita alors est de longue portée.
D'emblée, les pouvoirs publics posèrent le problème en termes martiaux : "Nous sommes en guerre contre le terrorisme", dit Jacques Chirac, Premier ministre, à l'automne de 1986; exclamation qui fait comme un écho lointain aux propos du président du Sénat des années 1890, Challemel-Lacour, qui s'écriait après la bombe du Palais-Bourbon : "Il ne s'agit plus seulement de rendre impossible ou du moins plus difficile un système de crime qui a déjà souvent épouvanté et d'en assurer la répression, il s'agit d'extirper une secte abominable en guerre ouverte avec la société [...] qui s'est placée elle-même hors de toutes les lois du monde entier."
Sans délai fleurit la tentation de priver du bénéfice des libertés publiques ceux qui refusent la règle du jeu de base, ou qui paraissent menacer de le faire. Et de fait, les trois "lois scélérates" de 1893-1894 sont exorbitantes par rapport à la tradition et à la doctrine républicaines.
La loi du 12 décembre 1893 apporte de graves exceptions à la législation libérale du 29 juillet 1881 sur la presse et renoue avec les lois les plus sévères de la Restauration. Elle frappe de peines de prison tous ceux qui, par leurs écrits, même dans les termes les plus généraux, inciteraient au vol, au meurtre, à l'incendie ou à la désobéissance militaire, ou qui présenteraient l'apologie de ces mêmes actes (notion dangereusement floue). La loi du 18 décembre 1893 punit de prison la fabrication et la détention illégitime de matières explosives, quelles qu'elles soient, de produits propres à les fabriquer, et des travaux forcés ceux qui se rapprocheraient en vue de commettre des attentats contre les personnes ou les propriétés. La loi du 28 juillet 1894, enfin, incrimine également la propagande anarchiste non publique, par exemple dans une conversation ou une correspondance privée (ainsi fait-on virtuellement de la seule opinion anarchiste un délit de droit commun) tout en transférant ces cas du jury à la juridiction correctionnelle, qu'on escompte à la fois plus rapide et plus rigoureuse.
Un article de Léon Blum dans la Revue blanche, publié anonymement en juin 1898 et qui demeure aujourd'hui encore la plus pertinente analyse critique des débats, aide à y regarder de plus près.
On est frappé d'abord par la célérité extrême avec laquelle furent votés ces textes si lourds : la loi du 12 décembre sur la presse fut adoptée en une seule séance, tant à la Chambre qu'au Sénat, malgré de nombreuses protestations émanant des bancs de la gauche, le gouvernement de Charles Dupuy ayant mis tout son poids dans la balance pour affirmer l'urgence extrême, et elle ne fut pas sérieusement discutée. Les députés durent se prononcer sans même que le texte ait été imprimé ou distribué : lu seulement par le garde des Sceaux à la tribune ! (Alors que la grande loi du 29 juillet 1881 avait demandé deux ans d'élaboration...) Le vote intervint quarante-huit heures après la bombe de Vaillant lancée dans l'hémicycle du Palais-Bourbon. La loi du 18 décembre fut à peine à peine plus longuement débattue et celle de juillet 1894 fut adoptée en quelques jours aussi, dans l'émotion qui suivit l'assassinat de Sadi Carnot.
Ces diverses circonstances étaient peu propices à la sérénité d'âme nécessaire à l'élaboration de textes destinés à n'être pas seulement conjoncturels, et le compte rendu des débats n'est guère à l'honneur du monde parlementaire. Sèchement, le président du Conseil Charles Dupuy disait le 23 juillet à ses contradicteurs de gauche : "Le gouvernement et la commission se sont mis d'accord sur un texte que nous considérons comme définitif; nous vous déclarons qu'il est impossible d'accepter aucun amendement..." Il ne disposait pas à l'époque de l'arme du 49.3 mais n'en fut pas moins entendu... Et le résultat fut une belle illustration des inconvénients de toute législation de circonstance, adoptée dans la hâte, non sans de nombreuses incohérences de rédaction et sous la pression d'émotions collectives.
L'inquiétude républicaine ne concerne pas seulement la restauration du délit d'opinion, dont la suppression était l'une des plus belles conquêtes de l'esprit des Lumières au long du XIXe siècle (bien des journaux du temps, à droite et au centre, jusqu'au rapporteur général de la loi à la Chambre, n'hésitant pas à parler tout de go de "délit d'anarchisme") : elle s'aggrave de la mise en cause du principe fondamental de la responsabilité individuelle. Les débats qui précédèrent le vote de la "loi anticasseurs" du 4 juin 1970, au temps où Raymond Marcellin était le ministre de l'Intérieur de l'après-68, tournèrent autour de cette même grande question quand il s'agit de faire condamner, en cas de manifestation provoquant des déprédations, non pas les "casseurs" avérés, mais les participants au défilé, quels qu'ils fussent : législation abrogée après 1981. La deuxième "loi scélérate", celle du 18 décembre 1893 sur les associations de malfaiteurs, était construite sur la condamnation de "l'entente", expression très floue, et sur la violation du principe selon lequel le fait coupable ne peut être puni que quand il s'est manifesté par un acte précis d'exécution. En condamnant "l'entente en vue de commettre des attentats contre les personnes et les propriétés", la loi permettait de plus périlleux amalgames.
L'amalgame... La tentation, si dangereuse en démocratie, s'élargit aisément dans le champ du politique. Il fut délibérément pratiqué par les républicains modérés au pouvoir, non seulement pour attaquer les théoriciens mêmes de l'anarchie qui condamnaient explicitement le "reprise individuelle" ou la "propagande par le fait", mais aussi pour assimiler socialisme et anarchisme, à une époque où le socialisme français, à peu près anéanti après la Commune, retrouvait une vigueur nouvelle.
"On était si résolu, écrit Léon Blum, à confondre le socialisme et l'anarchie que M. Deschanel, répondant à M. Jules Guesde, l'accusait explicitement, grâce à des citations qui naturellement furent reconnues falsifiées, d'être l'auteur responsable des crimes de Vaillant et de Caserio." Et Blum fait un sort aux commentaires ultérieurs d'un éminent magistrat, le procureur général Fabreguettes, qui observait, après le vote de la loi : "On sait combien il est difficile de distinguer [...]. On n'aura pas toujours la ressource de trouver dans les antécédents la preuve que le coupable est affilié à l'anarchie. Du reste, les criminels sortent presque tous du socialisme révolutionnaire [...]. La nature du propos, du discours, de l'écrit ne donnera presque jamais une clarté suffisante. On pourra les attribuer indifféremment à un anarchiste ou à un socialiste révolutionnaire..." Sait-on qu'après la guerre de 1914-1918, la loi du 28 juillet 1894 fut utilisée pour réprimer la propagande communiste ?
Les gouvernants de 1893-1894, au reste, s'en justifient en disant aux socialistes et à certains radicaux de gauche que leur seule complaisance les rend complices de la barbarie. Pratique polémique ancienne dont Jacques Toubon, secrétaire général du RPR, nous a donné récemment, quand il s'en est pris à François Mitterrand après l'arrestation des dirigeants d'Action directe, un exemple qui est demeuré présent dans les mémoires. Un inconvénient dérivé peut être le développement, dans la gauche républicaine, d'un penchant à faire de la surenchère répressive, quitte à perdre de vue son propre équilibre. Car, dans ce camp, on se sent cruellement pris en tenaille entre les indignations intéressées de la droite et les défis du terrorisme d'extrême-gauche, celui-ci ayant été peut-être encouragé par le glissement progressif du socialisme vers un réformisme plus ou moins avoué. Au lendemain de l'attentat de Vaillant, Jules Guesde se hâte d'écrire dans Le Journal : "Monstrueux, tout simplement. C'est l'acte d'un fou. Ceux qui font cela ne sont plus hors la loi, ils sont hors de l'humanité [...]. La violence en toutes circonstances est odieuse. Le socialisme ne triomphera que par le droit et la volonté pacifiquement exprimée de tous les peuples..." Ce qui, observe sévèrement Jean Maitron, est "à proprement parler anti-marxiste...".
Les attentats terroristes de l'automne 1986 ont trouvé une opinion publique gardant mieux son sang-froid que celle d'il y a un siècle. Ce n'est pas seulement l'effet d'une plus grande maturité politique. C'est aussi parce que la menace, paraissant venir en grande partie de l'étranger, n'était pas faite pour soulever les mêmes passions que les crimes anarchistes des années 1890, et parce que "l'ennemi de l'extérieur" se prête mieux à des solidarités civiques contre lui. Au reste — ceci tient probablement à cela — les lois "sécuritaires" élaborées entre juin et août 1986, à l'initiative du gouvernement Chirac, en dépit des réserves formulées à gauche, demeurent-elles fort en deçà, au regard des libertés publiques, des dispositions des "lois scélérates".
Le péril n'en subsiste pas moins que, par des glissements progressifs, le système politique ne consente, sous le coup de telle ou telle émotion collective, à des atteintes graves portées aux principes mêmes de la démocratie, au nom de sa défense même. Souci ancien, débat de toujours. 

Jean-Noël Jeanneney : Concordances des temps
Aux Editions du Seuil (1987)

[Pour mémoire, liste des attentats meurtriers perpétrés en France durant les années 80 par le CSPPA, le FPLP, l'ASALA, le groupe Charles Martel, les FARL, Action Directe, etc : 
03/10/1980 : attentat à la bombe devant la synagogue de la rue Copernic, 4 morts et 22 blessés - 16/04/81 : bombe à l'aéroport d'Ajaccio, 1 mort et 8 blessés - 29/03/82 : bombe dans un train reliant Paris à Toulouse, 5 morts et 27 blessés - 22/04/82 : voiture piégée devant le siège du magazine Al Watan, rue Marbeuf à Paris, 1 mort et 63 blessés - 09/08/82 : fusillade rue des Rosiers, 6 morts et 22 blessés - 15/07/83 : bombe à l'aéroport de Paris-Orly, 8 morts et 56 blessés - 30/09/83 : bombe au Palais des congrès de Marseille, 1 mort et 26 blessés - 31/12/83 : double attentat à la gare Saint-Charles et dans le TGV Marseille-Paris, 5 morts et 45 blessés - 25/01/85: assassinat de l'ingénieur René Audran - 20/03/86 : bombe dans la galerie Point Show des Champs-Élysées, 2 morts et 29 blessés - 09/07/86 : bombe au 4ème étage de la Brigade de Répression du Banditisme, 1 mort - 08/09/86 : bombe dans le bureau de Poste de l'hôtel de ville de Paris, 1 mort et 21 blessés - 14/09/86 : bombe au Pub Renault des Champs-Élysées, 3 morts - 15/09/86 : bombe à la préfecture de Paris, 1 mort et 45 blessés - 17/09/86 : bombe devant le magasin Tati de la rue de Rennes, 7 morts et 55 blessés...]

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire