2014/08/11

Plaine ma plainte (Polyushko-polye) [chansons à sens/explicite lyrique]

On ne reculera devant aucun artifice.
Tu peux applaudir si tu te sens comme une pièce sans plat-fond, si tu penses que la vérité est dans le bonheur, si tu sais ce que le bonheur représente à tes yeux, si c'est ce que tu désires, en somme. Et non pas en rêve.
Because I'm happy
Clap along if you feel like a room without a roof
Because I'm happy
Clap along if you feel like happiness is the truth
Because I'm happy
Clap along if you know what happiness is to you
Because I'm happy
Clap along if you feel like that's what you wanna do
La chanson, en tant que genre mineur, est source de paroles insipides, de temps en temps. On peut préférer le pastiche attendu, Tacky, en fait de mauvais goût, de Weird Al Jankovic. Il est quelques exceptions. Ma favorite est "Red army blues", soit le bleu (à l'âme) de l'Armée Rouge (des ouvriers et des paysans). Cette association chromatique oblique reviendra un peu plus tard, dans ce qui me semble une des plus belles rimes poético-historiques de la chanson folk.

Les deux ingrédients de base sont russe et irlandais. Le premier est un hymne que nous avons connu sous les chœurs de l'armée rouge, en France par Armand Mestral (paroles recomposées par Francis Blanche) les Compagnons de la chanson, Ivan Rebroff, en instrumental par Paul Mauriat ou Franck Pourcel. Une chanson qui fleure bon le cosaque, l'immensité des steppes, le galop des chevaux et la neige à perte de vue. Pour un peu, on pourrait la transposer sans peine (mon penne) dans le rêve de garçon vacher du  l'ouest lointain des Amériques, à la façon du Rawhide des frères en noir des Blues Brothers. Tanné le cuir. De fait, un autre "Afro-américain" du nom de Paul Robeson (auteur, athlète, acteur et donc aussi chanteur) a fait des versions mixtes, notamment américano-russe de ce Полюшко-поле (Polyushka Polye), chant que l'on retrouve notamment dans "10 chants d'hommes libres". Un autre chant de la frontière à la frontière, ou de la rive à la rive (from Border to border), car Paul Robeson a connu des soucis politiques. Plus engagé que le jeune Pharell Williams, moins "happy" probablement;  après quelques soucis citoyens avec le gouvernement états-zunien de l'an 1952. La chanson prend alors parfois les noms "Song of the plains" ou "Meadowlands". Un dithyrambe de Staline fait partie des critiques opposées à Paul Robeson. Polyushka Polye  est devenue, en fait, une chanson plutôt propagandiste. De recrutement pour l'armée rouge, dans les paroles d'origine. 

Mais la propagande a son revers, parfois mal connu de l'historique. Dans l'album "A pagan place", en 1984, la chanson "Red army blues", reprenant l'air de "Song of the Plain" est un post-lude à l'engagement d'un jeune soldat soviétique de 17 ans, russe, en 1943, pour lutter contre l'envahisseur allemand, et nazi en l'occurrence. Plus que cela : sa mère lui assure que le nombre d'Allemands tués n'est pas le plus important. Ce qui importe vraiment, c'est le nombre d'hommes et de femmes libérés du joug ennemi. Les Waterboys, formés l'an d'avant, sont formés de musiciens du Royaume Uni : Écosse, Irlande, Angleterre. Un folk & rock mâtiné de musique celtique et de poésie. Ici, cette chanson s'inspirerait du roman appelé en anglais "Aurora borealis" (le journal de Vikenty Angarov), 1978, de Viktor Muravin. 

Notre jeune héros russe prie pour la Mère Russie, et commence à penser que Dieu l'écoute, alors que l'armée rouge repousse les Allemands jusqu'à Berlin.En un magnifique décasyllabe coloré, l'armée Rouge n'est plus dans le bleu : le drapeau rouge est hissé haut dans le ciel du 3e Reich, tandis que le Reichtag en feu se teinte du brun des chemises qui le protégeaient. La langue anglaise peut le condenser en si peu de mots :

Raised the red flag high
Burnt the Reichstag brown

Le jeune soldat rencontre son premier américain : un autre jeune homme qui lui ressemble, avec la même gueule de paysan :

saw my first American
And he looked a lot like me
He had the same kinda farmer's face

Ce dernier vient de la ville de Hazzard, Tennessee. Le mot "hazard" est ici à double sens, car le danger guette l'ivresse de la victoire.

La guerre se termine, les soldats russes sont démobilisé, et le héros se retrouve avec des centaines de ses compagnons d'armes dans un train pour le village-retour. Mais le train ne s'arrête pas : il traverse sans répit la taïga, à travers la Sibérie. Les vainqueurs de la guerre sont en fait envoyés au goulag sur l'ordre de Staline, qui craignait qu'ils se soient trop occidentalisés. Le jeune homme était prêt à mourir pour son pays, il ne lui reste plus que la volonté farouche de survivre. L'ironie paysanne rencontre le tragique politique. "Song of the plain" se mue lentement en plainsong, ou plain-chant, cantus planus.

Voila, tu la connais l'histoire, du soldat qui venait de nulle part et qu'on renvoya comme un déchet. Il ne te reste plus qu'à l'écouter en musique :


When I left my home and my family
my mother said to me
"Son, it's not how many Germans you kill that counts
It's how many people you set free"
So I packed my bags and I brushed my cap
and I walked out into the world
Seventeen years old,
never kissed a girl

I took the train to Voronezh
- that was as far as it would go
Exchanged my sacks for a uniform,
bit my lip against the snow
I prayed for Mother Russia
in the summer of '43
and as we drove the Germans back
I really believed God was listening to me

Then we howled into Berlin,
tore the smoking buildings down,
raised the Red Flag high,
burnt the Reichstag brown
I saw my first American
- he looked a lot like me
He had the same kind of farmer's face,
said he came from some place called Hazard, Tennessee

When the war was over
my discharge papers came
Me and twenty hundred others
went to Stettiner for the train
"Kiev!" said the Commissar
"from there your own way home"
But I never got to Kiev
We never came back home
The train went north to the taiga
We were stripped and marched in file
up the Great Siberian road
for miles and miles and miles and miles
Dressed in stripes and tatters
in a Gulag left to die
all because Comrade Stalin feared
that we'd become too westernized !

I used to love my country
I used to feel so young
I used to believe that life
was the best song ever sung
I would have died for my country back in 1945
but now only one thing remains - the brute will to survive

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