2014/08/29

Márcio Souza : Le Brésilien Volant

« Je n'ai jamais travaillé sérieusement sur une idée abstraite. J'ai perfectionné mes inventions grâce à une série de tests étayés par le bon sens et l'expérience. » (Santos-Dumont)

Autant le dire tout de suite, ce roman de Márcio Souza sur les débuts de l'aviation ne vole ni très haut ni très loin, tout comme les premiers coucous du Brésilien volant, alias Santos-Dumont, une star en son pays. Or, assez curieusement, l'auteur nous prévient d'emblée qu'il  ne l'apprécie guère :

Ce récit est le scénario d'un film et ne se veut pas la biographie définitive, officielle et incontestée de Santos-Dumont. A vrai dire, je n'éprouvais pas au départ une grande sympathie pour le personnage. En se l'appropriant, les militaires ont fait de Santos-dumont une figure insipide, symbole d'un patriotisme médiocre et revanchard, typiquement brésilien, une sorte de demi-dieu ridé et jaunâtre, malheureusement victime de l'injustice d'être né sur cette terre du carnaval et de la bonhommie. Enfin, l'une de ces histoires exemplaires que l'on ne cesse de nous seriner dans le simple but de confirmer que nous sommes nés pour vaincre et non pour baisser les bras.
En vérité, ce patriotisme aveugle a fait subir à Santos-Dumont bien pis que ce que les pigeons infligent d'ordinaire, sans la moindre cérémonie, aux statues des grands hommes qui couvrent la place publique.
Heureusement, les pigeons ne s'y trompent pas.

Déboulonner de son piédestal une icône nationale, je n'ai rien contre, au contraire. D'ailleurs, l'Empereur d'Amazonie, du même Márcio Souza, est une réussite d'humour et d'intelligence... Mais là, écrivant l'histoire de quelqu'un qu'il n'aime pas, l'auteur force sans doute un peu son talent pour noircir des pages dépourvues d'âme et de passion. De sorte qu'à moins d'être férocement féru d'aviation, cette lecture est presque aussi ennuyeuse qu'un vol long-courrier...

L'un des meilleurs chapitres :

Le capitaine Ferber est un homme maigre, très grand, aux fines moustaches aussi lustrées que ses cheveux noirs séparés par une raie au milieu. Il gravit les marches, escortant Mme d'Acosta, une dame aux traits hispaniques, au corps svelte, richement parée, et une jeune femme au visage très expressif, aux cheveux noirs, simplement vêtue de bleu ciel. La jeune fille ne cache pas son mécontentement de se trouver en telle compagnie, mais la dame ne cesse de pester.
- Quelle enfant sotte. Voyez comme elle est attifée, on croirait une marchande de légumes du Bronx. C'est ridicule, avec toutes les robes neuves qu'elle a !
- Ne soyez pas si sévère, ma chère madame. Mlle Aïda ressemble à une fleur dans cette robe bleu ciel.
- Une fleur vulgaire... Voilà à quoi elle ressemble. Et elle a déjà porté cette robe à deux réceptions. C'est impardonnable. On finira par dire que nous sommes ruinées.
- Personne n'osera faire une telle remarque.
- Tu vois, maman. Personne ne va penser que nous sommes ruinées. Affirmation du capitaine Ferber, qui s'y entend en catastrophes financières.
- Impudente ! Mais est-ce que je m'adresse donc à une étrangère ? Je ne sais pas quelle idée cette jeune fille se fait de la vie...
Ils entrent dans le salon et sont accueillis par leurs amphitryons, un couple d'âge mûr au regard clair et hautain, des êtres manifestement coutumiers du pouvoir.
- Mon très cher comte de Bouvard. Et comment se porte ma douce comtesse, toujours rayonnante, vous irradiez la vertu.
Ferber baise la main de la comtesse avec mille grâces, une main aux doigts rutilant d'or et de diamants.
- Et qui sont ces charmantes dames qui vous accompagnent, mon cher capitaine ?
- Permettez-moi de vous présenter : Mme d'Acosta et sa fille Aïda. Le comte et la comtesse de Bouvard, dont le salon est le plus prisé de Paris...
Tous échangent des politesses, mais Aïda reste indifférente.
- Madame d'Acosta, mais bien sûr, dit le comte en reconnaissant la millionnaire.
Bouvard attire Ferber à l'écart, de manière presque indiscrète, tandis que Mme d'Acosta bavarde avec la comtesse sous le regard irrité d'Aïda.
Le comte maintient le bras de Ferber; il semble intrigué.
- Bien joué, ruffian !
- La petite n'a pas de prétendant. Le père est en Hollande et j'ai plu à Madame. Cher ami, je suis sur le point de faire un grands pas en avant...
- La reine du tabac de Cuba ! Sur dix cigares fumés dans le monde civilisé, cinq proviennent de sa manufacture de Santiago.
- Elles possèdent une collection de fourrures qui, mises bout à bout, recouvriraient la route d'ici au cap Ferrat.
- Des fourrures ? Pour l'été ? Il vous faudra civiliser ces créatures, mon ami.
- Certainement, mon cher comte.
- Ce qui vous vaudra certaines récompenses... matérielles...
Ferber se contente de sourire; son regard dépasse le groupe des femmes qui bavardent pour se poser sur Aïda qui se tient à l'écart, absente.
- Ah ! A propos, cette vieille dette de jeu...
- Ne me dites pas que vous allez la payer !
- D'ici peu, très peu de temps. Et avec les intérêts !
Bouvard, incrédule, a un petit sourire.
- Dieux du ciel ! j'avais déjà perdu espoir.
- J'ai toujours cru à la générosité des familles américaines.
Le maître d'hôtel annonce de nouveaux invités :
- Monsieur Alberto Santos-Dumont et Monsieur Georges Goursat.
Les conversations cessent et une grande agitation s'empare du salon. Les femmes poussent de petits cris et applaudissent quand le petit monsieur élégant fait son entrée, la canne à la main, en compagnie d'un autre homme, blond et fort. Alberto remercie; sa visible timidité désarme les plus entreprenants qui, incapables de se maîtriser, ont accouru pour le voir de près et même lui serrer la main.
Aïda, qui était jusqu'alors restée absente, a les yeux fixés sur le nouvel arrivant. Lui ne manque pas de remarquer la jeune fille qu l'observe d'un regard si pénétrant qu'Alberto aurait certainement déjà pris feu s'il était inflammable. Alberto passe devant la jeune femme, la regarde quelques secondes puis va aussitôt baiser la main de la comtesse de Bouvard.
Cet événement inaccoutumé n'échappe pas à Sem et un léger sourire ironique lui vient aux lèvres. Petitsantôs n'était donc pas aveugle, ni le capitaine Ferber d'ailleurs, qui observe avec inquiétude les réactions d'Aïda.
La vieille comtesse accueille ses hôtes célèbres avec une joyeuse cordialité.
- Mon cher Petitsantôs, quel honneur. Je veux que vous me racontiez tout ce que vous faites. Si vous saviez combien j'ai eu peur que Monaco ne vous enlève à nous.
Petitsantôs entend à peine la comtesse.
- Monaco ?
- Mais oui, Monaco. Car enfin, le prince ne vous a-t-il pas ouvert sa principauté pour que vous y installiez tous vos merveilleux ballons ?
- Petitsantôs sait bien mal exprimer sa gratitude, intervient Sem, railleur. Il n'a rien trouvé de mieux à faire que de précipiter son altesse, le prince Albert, au fond d'une barque avec le guiderope de son ballon...
- Doux Jésus ! Et qu'est-il arrivé au prince ? La comtesse était anxieuse.
- Le prince n'a pas bien évalué le poids de la corde, tente d'expliquer Petitsantôs, et il s'est fait traîner par le n°6.
- Le n°6 ?
- Le dirigeable !
- Plaît-il ?
- Hum...le... le ballon...
- Ah ! oui.
- A la deuxième tentative, il a été facile de ramener le n°6 vers le quai puis au hangar. J'allais plus vite qu'il n'y paraissait...
- Et le prince ?
- Quel prince ? demande Petitsantôs à la comtesse déconcertée.
- En fait, répond Sem qui se retient à grand-peine de rire, le dirigeable n°6 comptait plus pour Alberto que la santé du prince de Monaco.
La comtesse de Bouvard considère Petitsantôs d'un air ouvertement réprobateur.
- Je vois ! Petitsantôs n'aime pas les aristocrates !

Márcio Souza : Le Brésilien volant (1986)
Traduction de Lyne Strouc (1990)
Aux Editions Belfond

Et puis Santos-Dumont c'est aussi l'occasion de partager trois nouvelles planches de João Spacca, tirées d'une BD que vous ne trouverez ni à l'Entropie, ni dans les rayons d'aucune autre librairie, mais seulement auprès de l'auteur :



3 commentaires:

  1. Ayant lu cet extrait, j’ai envie de lire tout le reste du livre ! Il ira sur ma liste, pour que je puisse l’acquérir lors de mon prochain achat livres !

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