2013/11/30

Ils étaient sept…

Oui, « ils ils étaient sept qu'Altaïr avait délégués dans le temps. Sept, entraînés  à toutes les formes de combat, porteurs de toutes les armes existantes, virtuellement invincibles »…


Ça, c'est ce que raconte le début du prière d'insérer du magnifique roman de Gérard Klein, Le temps n'a pas d'odeur (Présence du futur, n° 63), le tout premier roman de SF que j'ai lu et qui m'a sitôt saisi et fasciné, au point de me m'élancer sur d'autres de la collection, puis vite ailleurs, avide…

Et ce soir, pareil, ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait d'autres, nous nous rassemblâmes là, dans la frisquouille vite réchauffée par notre rencontre A[N]PéRissime. Pas si nombreux, mais grosso modo les piliers parisiens (manquaient Jean-Jacques, Rémy, André Breton, qui d'autre ?)

Bruno, le premier, avec sa mine affûtée de renard amusé, puis le chef Stéphane — toujours comme un grand ourson craintif et défiant —, et longtemps nous fûmes à deviser tous les trois des solutions alternatives à MediaFire, avant que ne déboulent le malicieux Jean-Noël, l'imprévisible captivant Nessie et puis le jovial Laurent Duval armé entre autres de sa KP 18 (e de bizarres trucs croustillants épicés) et enfin, hourrah ! le si imprévisible Stéphane-René, toujours muni de kir à volonté.

Après moults échanges verbaux et numériques, dégustations liquides et solides, l'ami Jean est arrivé par hasard dans notre bazar et tout n'en est allé que mieux — s'il était possible.

Je vous passe hélas les détails, mais Laurent Nadot nous a permis entre autres de récupérer les épisodes stupidement manquants dans les Nuits actuelles des séries Woodstock et Hugo.

2013/11/24

Roger Boutefeu : Le mur blanc

« Je serais mort à moi-même si je n’avais poussé la porte de la CGT et des milieux libertaires... Je dois à la CGT la connaissance. Aux milieux libertaires, la propreté » (Roger Boutefeu)

Un mot sur l'auteur [ébauche] : né en 1911 au Pré Saint-Gervais d'un père caoutchoutier, Roger Boutefeu a eu l'enfance pauvre des fils d'ouvrier, et courte des jeunes orphelins. Livré à lui-même dès l'âge de 13 ans, il entre prématurément sur le marché du travail où il exerce tour à tour les métiers de sangleur de journaux, camelot, plombier, typographe, berger, commis de ferme, etc. Souvent vagabond, et parfois même un peu clochard, il côtoie d'assez près la misère sociale des années d'avant-guerre où, à défaut de pain, les hommes se nourrissaient d'espoir.
Très tôt engagé dans le mouvement syndical, puis anarcho-syndicaliste, Roger Boutefeu s'enrôle presque naturellement dans l'armée républicaine espagnole durant l'été 36 et combat notamment sur le front d'Aragon en tant que mitrailleur :


           LES PRIMAIRES

            C'est un village de guerre
            Avec de la chair
            Avec du sang
            Avec des os
            De gars de vingt ans.

            C'est un village de guerre
            De guerre au néant —
            Comme tout le monde il dort
            Son présent, son hier —
            Et son lendemain
            Est une limite, un point d'interrogation
            A l'Humain.

             (Huerrios, 22 et 24 septembre 1936)


Il en revient un an plus tard, marqué à jamais et profondément antimilitariste. Sa virulente propagande en faveur de la désobéissance militaire lui vaut d'ailleurs un séjour de neuf mois à la prison de la Santé, d'où il ressort libre le 2 septembre 1939 (la veille de la déclaration de guerre de la France à l'Allemagne) et, surtout, converti au catholicisme après avoir lu l’Évangile au fond d'un cachot (!).
Mort le 24 juillet 1992, cet écrivain au parcours atypique a beaucoup publié, soit sous son propre nom, soit sous les pseudonymes de Roger Coudry, le Pédiculeux ou encore A. Duret. Ses livres, classés au rayon littérature prolétarienne ou bien spiritualité, sont pour la plupart introuvables aujourd'hui, tout comme sa bibliographie que j'ai donc essayé de reconstituer, très imparfaitement et très partiellement :

  • 1950 : Veille de fête (autobiographie : sa jeunesse et sa période anarchiste)
  • 1962 : Je reste un barbare (autobiographie : berger d'alpage, directeur d'un centre de formation professionnelle, secrétaire général d'une compagnie théâtrale...)
  • 1965 : Le mur blanc (roman sur la guerre d'Espagne)
  • 1966 : Les camarades (voir ici)
  • 1971 : Brassées de chardons
  • 1972 : Journal du barbare (autobiographie : sa conversion religieuse)
  • 1975 : Muets, ils hurlent (étude sur la schizophrénie et la marginalisation des familles)
  • 1981 : Le Quotidien de l'Eternel
  • 1982 : Les blouses (pièce radiophonique)
  • 1983 : Vert est le bois
  • ???? : Zoue ma poulpe (récits)
  • ???? : Cassure (roman)
  • ???? : Ile de Noël (théâtre)
  • ???? : Un vivant pour chacun (théâtre)
  • ???? : Souffle le vent (poésie)
  • ???? : Car douce est sa voix (roman)
  • ???? : Efficacité et Apostolat (essai)
  • ???? : Saint Bernard
  • ???? : Culture humaine
  • ???? : Centralisme
  • ???? : Coopérative
  • ???? : Tirant d'eau

Un mot sur le livre : aux environs de 1939, dix soldats de l'armée de Franco traquent à travers les Pyrénées un couple de républicains espagnols, Manuel et Juanita, qui essaient de franchir la frontière pour rejoindre la France. Seulement le terrain est terriblement escarpé, la chaleur étouffante, et leur marche rendue d'autant plus difficile que Manuel est blessé à un bras et Juanita enceinte de six mois. Heureusement pour eux, Coron, un vieux berger silencieux, décide de les héberger quelques jours — le temps de soigner la blessure de Manuel —, puis de les guider jusqu'à la frontière à travers le maquis des montagnes. Et c'est là, dans le huis-clos de la cabane de Coron, qu'un souvenir douloureux, le mur blanc, remonte peu à peu à la mémoire de Manuel, le forçant ainsi à s'interroger sur le sens du bien et du mal...
Pendant ce temps-là, le lieutenant Vista et ses hommes continuent leur chasse à courre avec plus ou moins d'entrain et de motivation. Car si les uns sont de parfaits salauds, les autres sont de pauvres bougres, ni bons ni méchants, mais sans volonté propre et donc simplement charriés par le cours de l'histoire. Quant au lieutenant Vista, lui aussi, tout comme Manuel, il s'interroge et se débat dans des souffrances morales plus insupportables encore que la pire des tortures...

On ne trouvera pas de héros dans ce récit, mais seulement des hommes faibles et faillibles, poignants de vérité. On y trouvera aussi une nature tantôt douce et tantôt sauvage, le tout servi par une écriture bien rythmée, captivante et parfois si évocatrice qu'elle en devient presque audible.

Extraits :

Sur la nature, un passage parmi d'autres :

L'air avait la senteur âpre du terreau frais retourné, des champignons; celle plus amère, du buis; celle plus douce, des gentianes et des genêts. Toutes ces odeurs, grâce à l'orage, se libéraient soudain de la terre et montaient aux narines, au grain du visage, aux yeux, enveloppaient et pénétraient toute chose.

Sur la guerre, celles d'hier et celles de demain :

... Dans la ville en délire, les sirènes d'usines avaient des cris longs et profonds comme des ravins. Des hommes armés coupaient rues et avenues de barricades en chicanes et fermaient à l'aide de véhicules toutes les places en esplanades.
La ville titubait de clameurs, de chants, d'appels au grand jour, dans le tumulte de couleurs des drapeaux rouges et noirs, des sarraus usés, des bleus de chauffe, des blouses grises et blanches.
Cela remontait à près de trois ans déjà, mais c'était tellement ancré en lui qu'il se voyait et s'entendait encore commander sa première épreuve du feu contre la caserne qui dominait de ses canons la ville dressée contre la nuit.
La caserne vaincue, à la tête des camions chargés de munitions et d'armes, il avait traversé la ville et rejoint l'immeuble où s'organisait la révolte. Puis ce furent les jours de joie générale, quand, pareils à un fleuve remonté par la mer à son estuaire où les eaux se mêlent et s'ébattent, tous ces hommes se livrèrent à l'euphorie de la fraternité et de la liberté recouvrée.
Il se souvenait de tout, des nuits d'angoisse, de fièvre et de colère, des combats où fleurissaient l'églantine de l'espoir, de ces jours d'allégresse, quand les nouvelles étaient bonnes, où la ville tanguait comme un navire, et des jours prostrés quand on savait que l'ennemi maintenait sa nuit sur des régions entières encore à sa merci.
Il avait assisté à plusieurs départs de colonnes pour le front. Un jour, il s'était retrouvé dans ce flot mouvant qui, au travers de la ville, avançait, piétinait, criait à l'unisson de la foule rassemblée sur son passage et pleine d'exhortations.
Jours, nuits, mois, années du même combat sanglant...
[...] Au-dessus de leurs têtes passaient les obus. Certains tombaient devant eux. Dans l'aube, la montagne noire était comme un dieu assis. A ses pieds l'ennemi tirait. Sur la gauche, un village brûlait.
Dans le torticolis des tranchées, les miliciens attendaient placidement l'attaque. L'un d'eux, au passage de Serry et de Manuel, lança :
— Qu'ils y viennent, ces fils de chiennes !
En arrière des lignes, un obus, dans un fracas, décoiffa l'église de son clocher. Serry se retourna :
— Ils diront que c'est nous !
Et sans transition, comme s'il eût convié Manuel à une promenade :
— Allons au poste 1, on les verra venir.
Une gerbe flamboyante, alors qu'ils avançaient, fit éclater un parapet. Un milicien plein de sang battait la terre de ses bras tandis que d'autres s'affairaient autour de lui. Le bombardement allait croissant. L'air était labouré; partout des entonnoirs se creusaient, certains à même les tranchées; des miliciens en sortaient, d'autres y restaient, privés de jambes.
Rapide, le moulin d'une mitrailleuse retentit.
— Va voir, Manuel, faut économiser les munitions.
Quand il revint, le poste 1 était éventré et Serry avait une étoile écarlate entre les deux yeux.
Hébété, Manuel l'avait regardé sans comprendre puis, saisissant son fusil mitrailleur, les doigts glacés, la haine au cœur, il avait tiré. Un moment, il lui avait semblé que Serry bougeait; haletant, il s'était précipité pour n'essuyer que du sang déjà froid.
Au plus fort de l'attaque, un milicien de liaison, le visage exsangue, bredouillant, une main en lambeaux, était arrivé vers Manuel : dans le petit matin, pareils à des scarabées, trois tanks fonçaient sur leurs lignes.
Manuel griffonna un message qu'il passa au milicien.
— Porte-le au P.C. et fais-toi panser.
Le milicien serra sa main blessée sur sa poitrine et hurla :
— La vie ou la mort, camarade.
Et sans hésiter, il s'élança hors de la tranchée.
Combien de fois ne l'avait-il pas entendue, cette fière réplique ! A cause d'elle, peut-être, comme un nageur épuisé, Manuel se dégagea du limon des souvenirs et écouta les respirations paisibles de Juanita et des autres.

Roger Boutefeu : Le mur blanc
Editions du Seuil (1965)

2013/11/23

La Rua Madureira de Nino Ferrer et Daniel Beretta par Denis Colin et Ornette




Non, je n'oublierai jamais la baie de Rio
La couleur du ciel, le nom du Corcovado
La Rua Madureira, la rue que tu habitais
Je n'oublierai pas, pourtant je n'y suis jamais allé

Non, je n'oublierai jamais ce jour de juillet
Où je t'ai connue, où nous avons dû nous séparer
Aussi peu de temps, et nous avons marché sous la pluie
Moi, je parlais d'amour, et toi, tu parlais de ton pays

Non, je n'oublierai pas la douceur de ton corps
Dans le taxi qui nous conduisait à l'aéroport
Tu t'es retournée pour me sourire, avant de monter
Dans une Caravelle qui n'est jamais arrivée

Non, je n'oublierai jamais ce jour où j'ai lu
Ton nom, mal écrit, parmi tant d'autres noms inconnus
Sur la première page d'un journal brésilien
J'essayais de lire et je n'y comprenais rien

Non, je n'oublierai jamais la baie de Rio
La couleur du ciel, le nom du Corcovado
La Rua Madureira, la rue que tu habitais
Je n'oublierai pas, pourtant je n'y suis jamais allé

Les Carnets de Voyage de Jano : Rio de Janeiro (BD)



Voilà un excellent guide touristique à glisser dans les sacs Adi-Nike des 24 joueurs de football en partance pour le Brésil et son ancienne capitale : Rio de Janeiro. Ils y découvriront sans prise de tête inutile la baie de Guanabara, la plage d'Ipanema et l'estádio do Maracanã, où se déroulera la finale du Mondial d'ici quelques mois. Ils y découvriront aussi le Christ Rédempteur du pic de Corcovado, les favelas du Bento Ribeiro, de Dona Marta, Rocinha, Mangueira, etc., sans oublier le vieux quartier historique de Santa-Teresa et son Bonde Elétrico, un petit tramway jaune qu'empruntent les cariocas pour rejoindre le centre-ville de Rio, en passant par l'ancien aqueduc colonial de Lapa... Nous leur souhaitons bonne lecture.

Si certains de ma génération ont grandi avec les Marvel-Comics piqués à leurs grands frères, moi  je m'éclatais plutôt avec les aventures de Lucien, le rocker à banane de Margerin, ou avec celles de Kebra, le petit loubard de banlieue inventé par Tamber et Jano... Nostalgie :



2013/11/22

Max Gallo : Ils ont fait la France (audio)

Entre octobre 2011 et novembre 2012, le Figaro et l'Express diffusèrent en kiosque une série de 30 volumes consacrés aux grands personnages qui, selon eux, avaient fait la France : 27 hommes et seulement 3 femmes.
A l'occasion de cette parution, Max Gallo, le directeur de l'édition, était intervenu au micro de Sandrine Marcy pour raconter en un peu plus de 3mn à chaque fois l'histoire de 20 d'entre-eux :

  • Vercingétorix (le roi des héros, l'ébauche de la nation...)
  • Clovis (le constructeur de la France, un pays chrétien...)
  • Charlemagne (le grand empereur de l'Occident catholique...)
  • Saint-Louis (le rayonnement français : les Croisades, la Sainte-Chapelle, Notre-Dame...)
  • Jeanne d'Arc (l'envoyée de Dieu, condamnée pour hérésie, puis canonisée...)
  • François 1er (Marignan 1515 : les guerres, la Renaissance et ses châteaux...)
  • Catherine de Médicis (la reine-mère, responsable non-coupable de la Saint-Barth'...)
  • Henri IV (le bon roi de France, l'édit de Nantes, la poule au pot...)
  • Richelieu (la raison d'Etat, l'éminence grise et la robe rouge dégoulinante de sang...)
  • Louis XIV (la monarchie absolue, de droit divin, et les plus belles jambes du royaume...)
  • Marie-Antoinette (la mal-aimée, le faste de Versailles, les fêtes et puis la guillotine...)
  • Napoléon Bonaparte (personnage mythique, le français le plus connu dans le monde...)
  • Danton et Robespierre (l'un c'est le vice, l'autre un malade atteint de pathologie...)
  • Napoléon III (le 1er président de la République française, la perte de l'Alsace-Lorraine...)
  • Victor Hugo (le parti pris pour les pauvres, les humbles : un géant de la littérature...)
  • Jean Jaurès (figure de proue du socialisme, malgré une vision religieuse de la vie...)
  • Georges Clemenceau (l'action et l'énergie, moitié anarchiste, moitié conservateur...)
  • Les Poilus (le sentiment charnel de défendre sa terre et le sacrifice de sa vie...)
  • De Gaulle (un homme exceptionnel et hors du commun, le + grand français du 20è siècle)
  • Jean Moulin (l'éloge de la Résistance et de ses héros, sans dire un mot sur les collabos)

Exit les grandes figures d'une tradition pourtant bien française elle aussi, celle des canuts lyonnais, de Louise Michel et de Toussaint Louverture. Ne figurent pas non plus au rang des bâtisseurs de la France les millions de travailleurs immigrés qui ont goudronné ses routes, construit ses maisons, ses écoles, ses hôpitaux. Et rien non plus sur Lavoisier, Louis Pasteur ou Marie Curie. C'est l'Histoire-à-la-papa, façon Lavisse et consorts, la France vue du Figaro, donc forcément blanche, conservatrice et chrétienne : plutôt bigote que rabelaisienne, semble-t-il. Et pour chanter les louanges de cette France-là, monsieur, qui mieux qu'un barde amoureux :



L'intégralité de la série est téléchargeable ici.

2013/11/16

ANPéRo : entropie d'automne

Des moments surréalistes et pas tristes en colonie pénitentiaire
ATTENTION : REPORT D'UNE SEMAINE. Le prochain ANPéRo à la librairie Entropie est programmé pour le vendredi 29 novembre 22 novembre 2013. Attention, cette date est suspendue au climat. En cas de météo inclémente, il pourrait être déplu au vendredi suivant. Au mieux, vous le saurez ici. Au pire, vous irez au rendez-vous découvrir... des livres. Et vous reviendrez le vendredi suivant. 

Quelques précisions : 
Le mélange des deux ? A partir de 18h00-18h30 (vendredi 29 novembre), vous venez avec quelques liquides et solides à partager (ou pas), le tenancier offre tables, lumière et accueil. Et les ANPéRistes passent. Et ne se ressemblent pas. Jusqu'au bout de la nuit, où les chats sont gris. Pour savoir à quoi ils ressemblent avant, vous pouvez revoir les épisodes précédents : 
Pour savoir à quoi ils ressemblent pendant, venez. On y entend de la musique, de Marc Ogeret à des florilèges de génériques franceculturels. A la dernière, il y avait Kultur Pop 2013.17 :
  1. Le bien commun (Antoine Garapon) : L'orchestre de contrebasses, Bon voyage (Bass, Bass, Bass, Bass, Bass & Bass, 1993)
  2. Talmudiques (Marc-Alain Ouaknin) :Avishai Cohen et Nitai Hershkovits, Criss Cross (de Thelonious Monk) (Duende, 2012) [et une version de Criss Cross par Thelonious Monk, allons allons]
  3. Interlude : Franz Schubert, Piano Trio in E-Flat Op. 100 pour la bande originale de Barry Lyndon (Stanley Kubrick)
  4. Interlude : Clint Mansell et le Kronos Quartet, Requiem for a dream, main theme (bande originale du film, 2000)
  5. Interlude (journée) : Encre, Hassan (Flux, 2004)
  6. La grande table, 2e partie : Jun Miyake, Lilies in the Valley (bande originale du film Pina, de Wim Wenders, 2011)
  7. L'éloge du savoir : Christof Déjean, The passenger (Electronic Nostalgia, 2006)
  8. Terre à terre (Ruth Stégassi) : Bushman [Dwight Duncan], Black Sun (Bushman, 1996)
  9. Tire ta langue (Antoine Perraud, le tout début) : Dominique Petitgand, Le bout de la langue (Le bout de la langue, 2006)
Vendredi prochain, ou l'autre, il y aura Kultur Pop 18. Avec probablement les génériques de 20 ans et des poussières (Asaf Avidan), du Cabinet de curiosité (Marc-Olivier Dupin), de la chronique animalière de Continent Science (Amon Taubin), des interludes de nuits, dont le remix par Mogwai d'Acadian, de Link. What else?

Apéritif :
  1. (Désuet) Qui a la vertu d’ouvrir, et plus particulièrement, qui désengorge, qui ouvre les voies d’élimination.
  2. Qui provoque l’appétit.
  3. (Plus rare) Relatif au rite de dégustation d'une boisson avant le repas. "Une librairie apéritive"

Max Gallo : Le pont des hommes perdus

« C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat » (Philippe Pétain)

Photo de couverture
tirée de la collection
Roger-Viollet
Nouvelle hors-commerce de Max Gallo, le pont des hommes perdus évoque brièvement les journées des 17 et 18 juin 1940, la débâcle et l'exode, le discours de Pétain appelant les troupes à déposer les armes et le courage quasi-suicidaire de trois soldats français : le capitaine Teyssier, un ancien des Croix-de-Feu ; Victor Rovini, un anarchiste de retour d'Espagne ; et Jean Carlin, un jeune séminariste, admirateur de Péguy et de sa mystique patriotique, tout comme Gallo, avec lequel il partage également le culte effréné des grands-hommes : Jeanne d'Arc et Jésus, Napoléon et les Poilus. Extrait :

Teyssier avait rapidement traversé la cour. Par les portes grandes ouvertes du cantonnement, il avait découvert les paquetages abandonnés, les armes et les casques jetés sur le sol. Et il avait pensé à ces hommes d'autrefois, ceux de la grande guerre, ces poilus dont les corps après les attaques restaient plusieurs jours accrochés aux barbelés. Et la nuit, malgré les tirs de mitrailleuses, les fusées éclairantes, certains soldats se glissaient hors des tranchées pour aller vers ces cadavres, les ramener vers les lignes, afin qu'on les enfouisse dans la boue, et que les rats ne les dévorent plus, et que les yeux ne les voient plus.
Qu'étaient devenus en vingt années l'héroïsme, l'abnégation ?
Peut-être avait-il mieux valu que Péguy meure, le 1er septembre 1914, plutôt que de voir cela, ce peuple et ces soldats transformés en fuyards. (Max Gallo, 2000)

C'est étonnant, non ? Cette façon de glorifier le passé afin de mieux dénigrer le présent ? J'imagine que ça vient avec l'âge et les premiers cheveux blancs, que c'est pour ainsi dire physiologique... Du reste, je trouve moi aussi que c'était beaucoup mieux avant, et que si l'on veut absolument lire du Gallo, mieux vaut lire ses premiers livres plutôt que ses derniers. Sélection :

  • 1964 : L'Italie de Mussolini (une passionnante étude historique sur vingt ans d'ère fasciste)
  • 1970 : La Cinquième Colonne (les raisons, à l'époque inédites et explosives, de la défaite française)
  • 1972 : Le Cortège des Vainqueurs (grande fresque retraçant les principaux épisodes de l'histoire européenne, de 1917 à 1970, à travers les aventures d'un fasciste italien...)
  • 1975 : La Baie des Anges / Le Palais des Fêtes / La Promenade des Anglais (une trilogie pour partie autobiographique consacrée à l'immigration italienne, et plus précisément piémontaise, qui s'installa à Nice à la fin du 19ème siècle : l'ascension sociale, les luttes syndicales, les deux guerres mondiales... et mai 1968)
  • 1977 : Que sont les siècles pour la mer ? (l'histoire romancée et poétique de 2500 ans de civilisation)
  • 1978 : Les hommes naissent tous le même jour (le 20ème siècle à travers le destin de sept enfants tous nés le 1er janvier 1900 en sept endroits différents de la planète)

2013/11/10

Paroles de Poilus : le 11 novembre 1918

« Ça y est, c'est fini ! C'est l'Armistice ! D'un seul élan on se précipite en gesticulant... ça saute, ça danse, ça gueule, ça s'embrasse... et sans mot d'ordre on prend la direction d'Orléans dont les cloches nous appellent... » (A. Salesse, le 5 janvier 1960 - Ancien caporal-mitrailleur au 55ème R.I.)



Ils avaient vingt ans en 1914, ils s'appelaient Honoré, Emile, Otto, Alphonse, Henri, Auguste, Fernand, Charles, Edouard, Ludwig, Hermann, Léon, Joseph, Willy, Eugène, Albert, Gaston, Walter... Près de quatre millions d'entre-eux, français et allemands confondus, sont morts au combat ou furent portés disparus, leur corps disséminé par l'éclatement d'un obus, et parfois même enterrés vivants au fond d'une tranchée.

Morts et disparus, tous les Poilus de France et d'Outre-Rhin le sont désormais, cependant que l'Europe entière s'apprête à commémorer le centenaire de la Grande Guerre et qu'après-demain encore le président Hollande ranimera la flamme du soldat inconnu devant une foule immense, émue et recueillie. Mais à quoi bon ! Voilà bientôt un siècle que les cérémonies mémorielles se succèdent, tout comme se succèdent ici et là des conflits armés toujours aussi barbares. A quoi bon les gerbes et les discours officiels, de paix et de fraternité, quand la haine-des-autres est le dernier commerce encore prospère de ce Vieux monde ? A quoi bon...

Au début des années 60, tous les Poilus qui étaient revenu vivants, sinon entiers, de la "der des ders" furent conviés par voie de presse à témoigner de ce qu'ils avaient vécu et enduré durant la guerre la plus meurtrière de l'Histoire. Plusieurs centaines d'Anciens Combattants répondirent aussitôt à l'appel et de leur écriture appliquée racontèrent leurs souvenirs dans des lettres où s'entremêlaient de la fierté, de l'amertume et un soupçon d'humour. Ils n'avaient rien oublié, eux. Ils savaient ce que c'était, eux, que de se retrouver des heures durant sous le feu nourri des canons ou des mitrailleuses. Oh ! ils l'ont bien connu, eux, la peur de crever... Et tandis qu'ils sont à présent la plume à la main, penchés devant leur feuille de papier bon marché, se rappelant toutes les horreurs qu'ils ont vues, subies ou perpétrées, eh bien... eh bien pendant ce temps-là on s’entre-tue encore dans le maquis des Aurès. Alors à quoi bon ?

Ces centaines de lettres ont été rassemblées et intelligemment présentées par Roger Boutefeu dans un livre paru chez Fayard en 1966, à l'occasion du cinquantenaire de la bataille de Verdun.

Bien que constitué de souvenirs très a-posterioriques, ce recueil nous permet d'approcher d'un peu plus près la psychologie des soldats de 1914-15-16-etc. Parce que les hommes ont beau vieillir et grisonner, je crois qu'ils demeurent foncièrement identiques à ce qu'ils étaient à l'âge de vingt ans : la langue plus ou moins bien pendue, le sens de la Patrie plus ou moins développé... des nuances de caractère, des divergences d'opinion... et par-dessus tout ça une émotion commune : la joie ressentie le 11 novembre 1918 à 11h00 du matin quand sonnèrent les clairons... et aussi la tristesse pour ceux qui ne sont plus là.


Jamais réédité depuis 1966, ce livre est cependant disponible pour une dizaine d'euros dans toutes les bonnes librairies d'occasion. Qui le lira en retiendra une chose essentielle, vraie et profonde, c'est qu'entre ces millions d'hommes qui ont tout partagé, le pain et le vin, la boue et le froid, les poux et les rats, la peur et l'espoir, entre tous ces hommes pareillement éprouvés un même sentiment domine : la camaraderie.

Enfin, on trouvera ci-dessous quelques passages de lettres qui ne figurent pas dans le livre :

Le 7 novembre, nous apprenons que le Cessez-le-feu a sonné en ligne. Nous sommes heureux, mais nous ne pouvons y croire, car nous ne pensions plus nous en sortir, surtout ceux qui comme moi avaient 52 mois de calvaire. Enfin, le 11 novembre nous trouve dans un village de la Marne.
Le Commandant nous rassemble et nous apprend officiellement la signature de l'Armistice. Dire ce que fut cette nouvelle, personne ne peut se l'imaginer : de la joie, des pleurs, des chants, en un mot l'ivresse d'un jour qui fut un rêve, que seuls ceux qui sont sortis de la fournaise peuvent en parler, du fait que de la vision de la mort ils eurent soudain la vision de l'espérance. J'écrivis à mes vieux parents, et à celle qui est actuellement ma femme, que j'étais vivant et je pensais avant de m'endormir à mes camarades qui ne sont pas revenus. Ainsi finirent quatre années sous le souffle de la mort pour la défense de la Patrie.
(Emile Turles, sergent au 21ème Colonial)

Quelle joie pour nous, les survivants de la grande hécatombe ! Nous n'osons y croire, tellement la chose nous paraît impossible et pourtant elle est réelle maintenant… ! Mais cette immense joie est ternie cependant par une profonde tristesse, car nous ne pouvons oublier nos chers camarades disparus dans la tourmente...! Eux aussi auraient été si heureux de voir poindre l'aube de cette journée mémorable entre toutes et de revoir leur famille au pays natal...
(Jean Brugère, sergent au 59ème R.I.)

"Oui, elle est à nous, notre peau !"
11 novembre 1918, jour inoubliable ! Je m'en souviens toujours, malgré le temps passé. Après 40 mois de tranchées et de combats, c'était enfin la fin de nos souffrances [...] Au lever du jour, ceux de corvée allèrent au jus et c'est alors que ceux de la roulante leur apprirent cette bonne nouvelle : l'Armistice. Aussitôt tout le monde est debout ! Est-ce possible ? L'on n'ose y croire. On se regarde, on se bouscule, on s'embrasse. Que de cris de délivrance retentirent alors. 
(Jean Albert, marsouin au 22ème R.I.C)

A 10h30, l'ordre nous arrive par le cycliste du colonel que l'Armistice aura lieu à 11h, nous nous y attendions déjà depuis deux jours. Nous n'osons y croire, mais notre colonel, arrivant au poste de secours, nous le confirme. Alors là ce fut du délire, nous nous embrassons tous, y compris le colonel, les habitants du village partagèrent notre joie, mais étaient navrés de ne pouvoir nous offrir quelques bouteilles de pinard, ayant dû subir l'occupation depuis le début.
(L. Bonifay, brancardier musicien au 328ème R.I.)

Le colonel nous apprend que l'Armistice devait avoir lieu à 11h00. Nous n'osons pas le croire. L'artillerie donne à plein tube et le vacarme est infernal, on peut à peine se comprendre. De temps à autre, un camarade vous pousse du coude en disant : "C'est ça l'Armistice ?" Néanmoins nous suivons les aiguilles de nos montres. Stupéfaction, à 11 heures moins 5 tout s'arrête ! Rien, pas un bruit. On entendrait une mouche voler. On se regarde comme des abrutis, en silence. X, un camarade de 20 ans me saute au cou et m'embrasse en criant : "Ça y est, ça y est, elle est à nous !" et il continue "Oui, elle est à nous, notre peau !" et tout le monde s'embrasse en pleurant et en riant. Minutes inoubliables. L'artillerie française avait cessé le feu à 10h1/2, mais celle des Américains avait tiré jusqu'à 11 heures moins 5.
Après s'être restauré un tant soit peu, nous traversons la Meuse sur un grand pont construit par le Génie. Bientôt nous voyons nos batteries en plein champ, des cadavres allemands et français, des lignées d'américains tués sur place, plus loin ce sont des nids de mitrailleuses avec des monceaux de cartouches et les cadavres des mitrailleurs allemands qui s'étaient fait tuer sur leur pièce, plus loin encore ce sont deux énormes fours crématoires qui avaient servi à incinérer les morts de l'offensive de 1916. Sur tout notre parcours, nous étions dépassés par des quantités de camions chargés d'américains qui nous criaient "Guerre fainèche! Boches fainèche! Hurras hurras, etc" Le soir, grande fête de nuit, feu d'artifice avec les fusées éclairantes boches, françaises, américaines. Journée inoubliable.
(E. Descertaine, 2ème R.I.C, 1ère Compagnie)

"La première guerre mondiale au jour le jour" (F. Icher)
Revenant de permission (dite de détente), j'avoue que j'étais assez sceptique sur les bobards qui avaient couru parmi les cuistots de la roulante avant mon départ. Les copains avaient beau m'assurer que cette fois "ça y était… qu'on allait voir le cul des boches". Nous étions au semi-repos dans un petit village lorsqu'un camarade me dit "Viens voir, tiens, si c'est pas vrai". Était-il saoul ? Je sortis de la cagna et, seigneur, quelle illumination ! D'un bout à l'autre de l'horizon, s'étendant sur une vingtaine de km, ce n'était en effet qu'étoiles filantes, fusées vertes, jaunes, rouges, une débauche de lumière, un vrai feu d'artifice, éclatant, chantant de joie, dansant au nez des boches... Aucune de ces météores n'appelait un tir de barrage. Ah ! vous pouvez croire qu'il y avait du bruit, du pétard, mais à part ça, il n'y avait rien d’époustouflant  Le lendemain on repris le barda et en avant pendant une vingtaine de jours où chacun rouspétait de plus en plus, comme de juste, le ravitaillement n'arrivant jamais  à temps. Les cloches ne sonnaient pas pour la bonne raison qu'elles étaient fondues depuis longtemps ou alors à terre.
(Jean Jardette, aumônier volontaire au 2ème groupe du 36ème artillerie de campagne)

Je vis arriver le cycliste qui portait les lettres aux copains de première ligne. Dès qu'il fut à portée de voix, je lui criais :
 - J'ai une lettre ?
 - Tant fait pas pour les lettres : la guerre est finie !
 - Fais pas l'andouille, ça te va mal !
 - C'est pas du vent ! Les Boches ont demandé l'Armistice ce matin au lever du jour. C'est affiché à la porte du commandant du bataillon !
Je n'en demandais pas davantage et je partis en courant avertir les copains. Quelle foire nous avons fait ! On a trinqué plus d'une fois ! Le soir, un immense feu d'artifice est parti des deux côtés des premières lignes : fusées rouges de barrage, fusées vertes d'alerte aux gaz. De tous les côtés ça partaient et les lumières s'allumaient ça et là, alors que la nuit précédente il fallait se cacher pour allumer une cigarette !
Le lendemain, de très bonne heure, je suis allé voir en première ligne, avec un bon camarade. Pendant le trajet cela nous semblait anormal de ne pas entendre aucun départ ou arrivée d'obus, ni éclatement de minens, alors que c'était continuellement que l'on entendait ces éclatements en temps normal. Lorsque nous sommes arrivés en première ligne, quelques copains fumaient tranquillement, assis sur la banquette (de terre). Presque tout le monde était dans les trous à dormir, après les émotions et le pinard de la veille.
Avec mon camarade, nous regardons à travers le brouillard matinal, vers les tranchées allemandes. Après un long moment, celui-ci se dissipant peu à peu, nous voyons des silhouettes se dessiner. Elles bougent, nous bougeons aussi. Nous entendons : "Com... com... !" Mon camarade me dit : "On y va ? qu'est-ce qu'on risque ? On verra les trous de nos torpilles..." Je lui réponds que nous pourrions attendre, mais il part malgré cela et je le suis. Nous nous arrêtons à mi-chemin, car deux soldats allemands viennent à notre rencontre pour nous serrer la main et baragouinent : "Gamarat, guerre kapout !" Ils parlent beaucoup et nous ne comprenons pas grand chose. Je commence à faire demi-tour quand deux autres Fritz montent le parapet et s'approche avec une rapidité qui m'inquiète. A peine arrivé sur nous, l'un deux, la main sur l'étui de son pistolet automatique, nous dit en mauvais français : "Armistice seulement. Nich guerre finie. Vous venir avec nous" Je riais jaune. Je regarde le chemin derrière nous. Je pense que le Fritz nous a à l'estomac. Je sais que le pistolet ne partira pas, mais à présent il y a 6 gaillards autour de nous (deux autres sont arrivés). Le gradé allemand donne des ordres et deux hommes armés nous amènent au PC. Là encore le gradé essaie de nous faire comprendre que la guerre n'est pas finie, que nous avons été imprudents, tout cela dans un charabia à moitié français à moitié allemand. Après avoir téléphoné, sans doute pour prendre les ordres, nous repartons flanqués de nos deux Frtiz, un devant, un derrière, dans des boyaux propres mais qui nous ont semblé bougrement longs ! Après peut-être un kilomètre, nos gardes s'arrêtent et nous font comprendre que nous pouvons nous asseoir là, sur le bord de la route. Au bout d'un long moment, nous voyons arriver une voiture et nous sommes embarqués. Nous arrivons dans une ville, on nous fait descendre devant un bâtiment où il y a un factionnaire (il ne nous a pas présenté les armes, mais il avait un large sourire). Nous passons par plusieurs bureaux et devant plusieurs chefs pour aboutir devant un grand caïd qui, bien que parlant français, se servit par moment de son interprète.
"Nous étions des hommes"
(Jacques Moreau)
A partir du moment où nous lui avons dit que nous étions dans l'équivalent des Minenwerfer, nous n'avons plus paru l'intéresser. Il donna des ordres, renvoya nos gardes et nous dit que nous étions libres de circuler dans la ville jusqu'à 8h00 du soir. A peine avions-nous franchi la porte que nous n'avions plus qu'une idée : rentrer chez nous, mais à peine avions-nous fait six pas que nous fûmes entourés et happés par les habitants : "Des français, des français !" On nous paya à boire et encore à boire, si bien qu'à 8h00 du soir nous étions sans connaissance et dans un état lamentable. J'abrège. Le lendemain, nous nous sommes retrouvés dans la tranchée dont nous étions partis, entourés de boches qui riaient en nous regardant nous réveiller et parlant entre eux au milieu de leurs gros rires. Ils nous ont montré la direction de notre tranchée et nous sommes partis en courant comme des voleurs, dans le brouillard du matin. Notre absence avait été constatée, mais nous avons raconté une histoire qui n'était pas celle-là et, dans l'enthousiasme du moment, tout était vrai et bon !
(André Pradelles, sous-officier dans l'artillerie de tranchée)

2013/11/09

Amazon : l'algorithme contre le libraire - 24h du livre

Dans le cadre des 24 heures du livre, Les pieds sur terre sur France Culture consacrent donc un épisode sur l'hégémonie rampante du fleuve Amazon. Amazon, c'est le plus grand fleuve du Monde. A part le Nil, mais il y a débat. Et comme il coule sur le continent américain, c'est le plus grand quand même. Amazon, c'est également un des A de l'acronyme GAFA.

A l'heure où l'Assemblée nationale planche sur une loi pour contrer la suprématie du géant américain et venir au secours des libraires indépendants, Les Pieds sur terre mènent l'enquête. D'une petite librairie de Châteaudun jusqu'aux salariés de la plate-forme de Saran (Loiret), des éditeurs aux lecteurs : comment le logarithme de Jeff Bezos (le créateur d'Amazon) aura bientôt la peau des libraires traditionnels.
On pourra ironiser sur le catalogue Amazon, du livre à divers produits culturels comme l'épluche-patate, la tourniquette à faire la vinaigrette, l'atomixer, ou le pistolet à gaufres. Rappelons-nous que Jo-le-bouquinistene se prive pas de vendre des rustines :
Oui, oui, officiellement, oui... mais bon c'est pas ici : je fais mon chiffre d'affaire à part... je vends des trucs que j'ai chez moi... des trucs comme ça... ou des clients qui me demandent des trucs spéciaux... et ainsi de suite, voilà [...] Moi je m'intéresse qu'aux passionnés, hein, les autres ils m'emmerdent ! Je m'occupe des passionnés à qui je vends des photos, n'importe quoi, des timbres, des vieilles rustines de vélo...
- Mais alors là c'est plus du livre ?
- Mes collègues ils vendent que des livres : pas de bol, au bout de trente ans, les livres ils les ont tous ! [...]
Ailleurs, un libraire d'occasion a mis son catalogue en ligne également sur le grand A., et de trouver que l'opération est plutôt positive. Et ça peut donner des libraires de stockage, qui n'ont plus besoin, le bonheur ! de voir un client.Elle est bien loin, cette séquence d'Un mauvais fils (Comment ça se passait voici encore peu, depuis deux cents ans…), avec Brigitte Fossey, Jacques Dufilho et Patrick Dewaere, du temps jadis.
Et dans les méandres d'étagères des entrepôts du A. marguscule, on peut circuler en douce, comme  Jean-Baptiste Malet, qui en relate l'expérience dans En Amazonie, Infiltré dans le « meilleur des mondes ».

Alors ? On attend que le marché inonde le petit monde du livre à grands coups de requêtes et de livraison en 48 heures chrono, ou on s'agite les petites pattes à aller chiner dans les entrelacs des libraires de quartier, au risque de découvrir un joyau de sérendipité taillé par le libraire ? Parce que sinon, avoir la chance de se faire re-commander les mêmes romans-fleuves que tous ceux qui l'ont péché à la même ligne, sans l'avoir lu, juste parce que "les autres lecteurs ont massivement aimé ce livre-là aussi", hein, bon, on sait ce que c'est.

Libraires crée l'espace d'étalage

Bóksalan býr til hillupláss fyrir rafbækur
Ce texte est la traduction automatique par un moteur omnivore d'extrait de la page Bóksalan býr til hillupláss fyrir rafbækur, à l'université d'Islande. Parce que je suis tombé dessus par hasard ce matin. Que le rayon de livres est joli. Que l'Islandais est quand même classe comme langue. Un peu sévère au premier abord, mais si douce au deuxième rabord. Les mots grossiers sont remplacés par des *** pour les jeunes yeux. L'essentiel est résumé en cette phrase : "les ventes de livres en général ont rétréci le monde".
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Enn frekari breytinga er að vænta í tengslum við á bóksölu stúdenta en ný og bætt heimasíða er væntanleg fyrir jól. Með tilkomu hennar mun stúdentum gefast tækifæri til að kaupa rafbókarútgáfu af skólabókunum ef þær eru gefnar út á því formi.
D'autres changements sont attendus dans le cadre de la Librairie de l'Université, mais nouveau site Web amélioré seront libérés avant Noël. Avec son introduction donnera aux étudiants la possibilité d'acheter la version *** de manuels scolaires s'ils sont libérés dans le format.

Au cours des dernières années, FS, la création de l'Association des étudiants EQUAL, qui couvre MAGASIN trouver des moyens de répondre à l'environnement opérationnel changeant raison de la diminution des ventes de manuels scolaires, y compris par l'ouverture d'un coffee shop et Co-op innaf STORE.

Rebekah Sigurdardottir, information FS affirme que les ventes de livres en général ont rétréci le monde et a atteint il n'est pas surprenant que cela existe aussi dans ce pays. Elle dit que l'une des choses qui rend l'exploitation du librairie de l'Université difficile que la plupart des manuels sont étrangers et ils vont vendre s'il n'est pas là, a dû envoyer leur arrière [NDLR : sic transit gloria libri].

"Nous sommes heureusement un bon accord avec notre couverture reprendre ce que nous ne pouvons pas vendre. Cependant, puisque notre objectif est de fournir des livres pour toutes les étapes indépendamment de la taille, il peut nous causer des problèmes" quand élevé d'abandon des cours et des livres pas parce keyftar ou étudiants simplement sauter les acheter.

"Nous pensons différentes options pour contrer ce problème, en fournissant un particulier óumhverfisvænt [NDLR : ah oui quand même !] livres d'envoi aller et retour entre les pays. Peut-être que la solution est que les étudiants soumettent des ordres, les enseignants identifient la nécessité de mieux avec nous ou les carnets de commandes sont également disponibles en format ***" .

Fin de la citation/traduction. L'Islandais est bien la langue des scaldes, d'une poésie sans lyrisme excessif, fondée sur l'allitération, décrivant un bel objet, dit Wikipedia. Le livre.

2013/11/02

Jorge Amado : Le Bateau Négrier (ABC de Castro Alves)

Le 4ème chant du Bateau Négrier (Poème de Castro Alves, écrit et déclamé en 1869)


Mort de phtisie à l'âge de 24 ans après avoir été amputé d'un pied, le génie précoce et les sentiments passionnés, si certains aspects de la vie éphémère d'Antonio de Castro Alves font parfois songer à celle de Rimbaud — son contemporain —, c'est cependant dans les vers de Victor Hugo — son maître —, que cette grande figure de la poésie brésilienne a puisé l'essentiel de son inspiration. D'Hugo et de ses Contemplations, qu'Alves a traduit, lui viennent en effet son lyrisme amoureux et son engagement social en faveur de la République et contre l'esclavage. D'Hugo aussi, bien évidemment, le romantisme des Lumières, les envolées quasi-messianiques et cette grandiloquence un peu désuète aujourd'hui, mais qui, replacée dans le contexte historique de l'époque, peut encore procurer aux lecteurs quelques doux frissons : un tremblement d'âme, dirait sans doute le poète.
Il faut imaginer ici Castro Alves, jeune homme d'à peine vingt ans, le teint pâle, les cheveux longs, les yeux immenses et noirs, l'imaginer debout sur une estrade improvisée, puis l'entendre clamer les strophes du Bateau Négrier devant une foule partiellement composée de riches commerçants et de propriétaires fonciers, tous maîtres et possesseurs de terres, de bêtes à cornes et d'hommes à peau noire. Le souffle ardent, Castro Alves les prend alors à partie, dénonce les mauvais traitements, l'injustice, l'infamie à laquelle ils se livrent jour après jour, depuis celui où l'esclave a été arraché à sa terre jusqu'à celui où il mourra d'épuisement ou de sévices infligés par le contremaître. Rassemblé sur la place publique, le peuple, attentif, écoute le poète avec son cœur, boit chacune de ses paroles et, bientôt ivre d'espoir, l'applaudit puis l'acclame en criant : Liberdade ! Liberdade ! Et il en sera ainsi partout où passera Castro Alves durant sa courte vie. De São-Paulo à Rio et de Recife à Bahia, partout où sa voix claire et puissante s'élèvera pareille au tonnerre, partout son écho retentira dans des milliers de poitrines toutes avides d'un même idéal. Et si d'autres qu'Alves ont eux aussi embrassé la cause abolitionniste, nul mieux que lui n'a su insuffler à son chant une force de conviction telle qu'il s'imposa à tous comme une incontestable évidence ; peut-être parce que ce sont toujours les plus libres des hommes qui parlent le mieux de la liberté, tout comme ce sont les plus amoureux d'entre-eux qui glorifient le mieux l'amour, l'autre versant d'Antonio de Castro Alves.

Le dîner
(Toile de J.B. Debret)
Les femmes et la Révolution, l'amour et la liberté, deux thèmes aussi chers au cœur d'Alves qu'à celui d'Amado, son biographe attitré, qui tout au long des 300 pages du Bateau Négrier nous fait connaître et apprécier le poète le plus populaire du Brésil, tout en nous révélant, en creux, un peu de sa propre histoire personnelle. Car bien qu'un demi-siècle sépare ces deux hommes ils se ressemblent pourtant comme deux frères sortis d'un même ventre et nourris au même sein. La parenté est d'ailleurs d'autant plus frappante que l'écrivain Amado, empruntant ici à l'aîné son habit de poète, se fait tour à tour lyrique et romantique, exalté et passionné... sans doute parce que cette biographie, écrite et publiée en 1941, avait elle aussi vocation à réveiller la conscience des peuples enchaînés.

EXTRAITS :

L'introduction :

Jorge Amado (1941)
As-tu déjà vu depuis le quai le noroît se déchaîner sur la ville et la mer, emporter des embarcations, désamarrer les navires, changer la route des paquebots, transformer la couleur des eaux ? Il est rapide, inquiétant, beau, presque irréel. Il ne dure qu'un instant dans la mesure du temps. Mais après son passage, quand le calme est revenu, son souvenir demeure et il est impossible de l'oublier car tout est changé : l'aspect du quai est différent et l'air que l'on respire est plus pur. Eh bien, ma petite, Castro Alves était semblable au noroît. Il en avait la force, l'élan et la violence. La beauté aussi. Son souvenir immortel a laissé l'air plus pur.
[...] Dans ce théâtre de la ville haute tu as entendu une fois jouer un grand orchestre. Te souviens-tu du moment où les musiciens se joignirent tous en un effort suprême et jouèrent de leurs instruments avec une grande virtuosité une note plus haute que les autres, la plus belle de toutes, une note qui s'attarda à résonner dans la salle même après la sortie des spectateurs ? Castro Alves a été comme cela. Il y a des moments où toutes les forces d'une nation se conjuguent, et, comme une note plus haute que les autres, apparaît, tranquille et terrible, diaboliquement beau, juste et vrai, un génie. Il naît des désirs du peuple, de ses besoins. Et plus jamais il ne meurt, immortel comme le peuple.
Celui dont je vais te raconter l'histoire, fut aimé et aima beaucoup de femmes. Des blanches, des juives et des métisses, timides ou hardies, sont venues se réfugier dans ses bras et dans son lit. Pour une seule cependant il garda ses meilleures paroles, les plus douces, les plus tendres, les plus belles. Cette fiancée a un joli nom, petite amie : elle se nomme liberté.

L'amour de Castro Alves pour l'actrice Eugénia Câmara (et celui d'Amado pour Zélia Gattai) :

Eugénia Câmara
Amie chère, quelque chose dans le cœur de chacun de nous perçoit immédiatement que l'aimée est arrivée, celle qui sera l'unique et la définitive, celle que nous avons cherchée dans toutes celles qui l'ont précédée et dont celles qui lui succéderont seront seulement la nostalgie. Quand elle arrive, c'est comme si le jour s'éveillait, comme si nous naissions de nouveau. Ce fut ainsi quand je t'ai vue pour la première fois et que j'ai senti que tu venais de loin, d'un quelconque port ou d'un navire, pour débarquer dans ma vie. C'est ce qui arriva cette nuit-là au théâtre lorsqu'un jeune homme de seize ans comprit qu'il avait trouvé son aimée et que son cœur était irrémédiablement pris. Il n'était qu'un élève de l'Ecole préparatoire, persécuté par la géométrie, un étudiant qui commençait à écrire des vers ; elle était une grande actrice, belle et célèbre, le moment n'était pas encore arrivé de faire plus intimement connaissance. Mais depuis cette nuit fatale il la garda dans son cœur et lorsqu'elle l'aima, des années plus tard, lui offrit son corps et lui donna sa beauté pour qu'il l'immortalise avec son génie, il ne l'aima pas plus que cette nuit où il était né à la vie en la rencontrant.

L'amour de soi et le malheur des autres :

Castro Alves
Depuis São Paulo, Alvares de Azevedo, le Byron du Sud, démoniaque, tragique et suicidaire projette son ombre sur le pays. C'est un exemple que la jeunesse aspire à suivre [...] Mais Castro Alves n'était pas né pour suivre les chemins tracés par d'autres, même si cet autre était Alvares de Azevedo. Sa voie devait être tracée par lui-même [...] Les hommes verraient en lui un autre homme, un homme qui en savait plus, en avance sur son temps, qui pouvait être suivi parce que sa route était celle de l'avenir [...] S'il n'avait pas été un génie il se serait engagé sur les chemins d'un Byron ou d'un Azevedo, aurait traduit son amertume dans des vers d'une beauté rare, en oubliant que les esclaves mouraient dans les cases dans l'attente de la liberté et que la République était un rêve qui attendait son poète.
En 1863 le jeune garçon de seize ans dessine, fait des vers, fume dans son hamac et souffre. Tout est ténèbres devant lui, il ne sait pas où aller. De longues plaintes d'esclaves montent depuis le plus profond des moulins à sucre de Pernambuco. Ce ne sont pas des hommes mais des animaux qui s'achètent et se vendent, de la viande qui change de propriétaire, du bétail pour le commerce. Il y a des enfants et de belles filles, des vieux aux cheveux crépus tout blancs, de vieilles femmes aux seins flétris qui nourrissent des générations d'hommes. Sont-ils vraiment des hommes ? Alvares de Azevedo ne le croit pas, il croit que ce sont des bêtes de somme qui ne méritent pas un vers. Qu'étaient-ils devant l'éternité et le mystère de la mort, devant les subtiles souffrances de l'artiste ? Ah ! Que vaut la malheureuse vie d'un nègre, que valent les traces de fouet sur son dos, que valent ses larmes, si l'artiste a un problème qui le fait souffrir et lui fournira le thème d'un sonnet précieux ? Fermons les yeux devant tout cela, penchons-nous sur nous-mêmes, sur notre malheureuse condition d'hommes, c'est ce que veut nous enseigner la voix qui vient de São Paulo, si tristement belle. Castro Alves écoute cette voix, le jeune homme à la vie grise pleine de drames familiaux a aussi ses problèmes d'artiste. Mais, amie chère, la voix qui vient des cabanes des Noirs est la plus forte, elle traverse Recife, survole la mer, se meurt sur les rochers caressés par le vent. Cette voix demande justice et liberté, cette voix demande vengeance. Les hommes passent, indifférents, comme ils passeraient devant un troupeau mugissant. Il faut que quelqu'un donne la force convaincante de la beauté à cette voix vraie. Il faut que quelqu'un transforme ces plaintes et ces rugissements en une clameur si puissante que les hommes s'arrêtent et voient que ce ne sont pas des bêtes qui souffrent mais des hommes comme eux, seulement plus malheureux.

Le Bateau Négrier, de Jorge Amado (Livraria Martins Editora, 1941)
Traduction française d'Isabel Meyrelles (Editions Messidor, 1988)