2012/12/02

José Saramago : Relevé de Terre

Si j’avais à qualifier la petite musique de José de Souza, dit Saramago, je la dirais médiévale : à mi-chemin entre le plain-chant d’un oratorio et la poésie profane d’un trouvère occitan. Puis, précisant davantage ma pensée, j’ajouterais peut-être ceci : une espèce de croisement entre Bach et Bernard de Ventadour : entre la Passion selon Saint Matthieu (interprétée par le philharmonique de Berlin) et Can vei la lauzeta (exécuté par l’Ensemble-Unicorn). Et puis, quand mon petit singe savant en aurait fini avec ses cabrioles, je dirais à peu près la même chose, mais de façon beaucoup plus sobre : lire Saramago, c’est comme écouter quelqu’un. Impression de se retrouver dans un café Maure, assis en face d’un vieux chibani à la langue bien pendue. Rien que lui et vous. Et le silence autour alors que la nuit tombe sur l’Alentejo. 

« Parler, c’est faire de la musique » dirait-il de sa voix grave et mélodieuse, où s’entremêleraient le gazouillis d’une alouette, le tic-tac d’une horloge et le babillage d’un enfant. Sur la table, outre deux verres de Vinho verde déjà bien entamés, se trouveraient également un épi de blé séché et une poignée de terre ocre amassée en tas. Ses dents crisseraient un peu : « Celui qui se tait autant que je me suis tu ne pourra mourir sans tout dire » Le peuple des opprimés parlerait ici à travers lui et donnerait à son murmure la puissance d’une clameur. « J’ai en mémoire ma traversée de la vie » Une mémoire encombrée de milliers d’ombres anonymes, qui auraient pour nom : Domingos, Maria, João, Joaquim, Alberto, Faustina, António, Requinta… Tous, le dos courbé sur la glèbe, du lever au coucher du soleil et du premier jour au dernier soir de leur vie. « Jerónimo Melrinho et Josefa Caixinha… » apparaîtraient deux vagues silhouettes à l’horizon, des humiliés parmi d’autres, oubliés comme tant d’autres, mais que les souvenirs impérissables d’un enfant ramèneraient à la vie. Rien qu’eux et nous. Et le silence alentour, alors que des trombes d’eau s’abattraient soudain sur l’Alentejo : « Il commença à pleuvoir sur eux vers la fin de l'après-midi… » ainsi débute l’histoire.

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